Discours de Xavier Ballenghien en hommage aux tirailleurs sénégalais

Monsieur le Secrétaire général de la préfecture du Gers, sous-préfet d’Auch

Mesdames et Messieurs les élus,

Monsieur le consul général,

Monsieur le délégué militaire départemental,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très honoré de la présence de Monsieur Abdoulaye DIALLO, consul général du Sénégal à Bordeaux. Merci Monsieur le consul d’avoir effectué le déplacement de Bordeaux à Lectoure. Cette cérémonie est aussi le fruit d’un engagement résolu de l’Union des travailleurs sénégalais de France, section gironde. Je remercie son président Dame GADJI et les membres qui sont aussi la mémoire de cette cérémonie. Car depuis 2001, l’UTSF et la ville de Lectoure travaillent pour cette continuité mémorielle. C’est l’occasion de saluer le travail du comité de Lomagne du Souvenir Français et son président le général Éric Boss.  Merci à Madame Tolosa de l’association France-Casamance qui nous prépare chaque année des repas.

La cérémonie d’hommage aux tirailleurs sénégalais qui nous réunit chaque année depuis 23 ans se tient dans un contexte particulier entre la France et le Sénégal autour du massage de Thiaroye. En effet, le 1er décembre 1944, alors qu’ils réclamaient des arriérés de soldes, l’ordre est donné d’ouvrir le feu sur les tirailleurs sénégalais à l’arme automatique. Plusieurs tirailleurs de l’AOF y perdirent la vie. Les circonstances de cette exécution sont difficiles à lire mais notre langue ne doit pas pourtant trembler pour nommer les choses.

Je comprends le ton du Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko et l’attitude du Président Bassirou Diomaye Faye, lui-même petit fils de tirailleur sénégalais. Ce rendez-vous de recueillement ici à Lectoure est l’occasion d’apaiser les tensions et de regarder l’histoire en face.

Nous commémorons cette année le 105e anniversaire du décès des 73 tirailleurs sénégalais inhumés en face de vous. Comme je le rappelle chaque année, ces jeunes soldats africains sont morts d’infections pulmonaires. La cause de leur morbidité, c’est aussi un accueil indigne puisqu’ils étaient inaptes au froid et n’ont pas eu les uniformes qu’il fallait pour supporter la difficile période hivernale.

Ces soldats du 141e B.T.S et leurs camarades d’armes issus des colonies de l’AOF ont été l’objet de nombreuses stéréotypes légitimées par d’intenses campagnes marketing et de publicités télévisées. C’est le cas de la boisson chocolatée Banania directement associée aux tirailleurs sénégalais avec le slogan « Y’a bon » qui enferme ces soldats dans des clichés racistes. Il a fallu attendre 2011 pour que ce slogan disparaisse à la suite d’une décision de justice. Mais en 1940, Léopold Sédar Senghor, mobilisé et en captivité écrit « Poème liminaire » dans le recueil Hosties noires. Il y déclame :

« Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort

Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?

Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux

Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement.

Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur

Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France ».

Dans l’avant-guerre, au fort des missions d’études pour le recrutement dans les colonies, Charles Mangin, alors lieutenant-colonel et chef d’état-major du commandant supérieur en Afrique occidentale française, accrédite l’idée selon laquelle l’Afrique est un réservoir de soldats, une chair à canon. Dans son livre « La Force noire », il affirme que « le noir naît soldat ». Il poursuit avec conviction que « dans les batailles futures, ces primitifs pour lesquels la vie compte si peu, et dont le jeune sang bouillonne avec tant d’ardeur, et comme avide de se répandre, atteindront certainement à l’ancienne furie française et la réveilleraient s’il en était besoin ». De là découlent de nombreuses idées reçues sur les tirailleurs sénégalais qui peinent encore à disparaitre.

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Secrétaire général,

Mon le consul général, Monsieur Diallo,

Je souhaiterais rappeler l’histoire d’un défenseur de la cause des tirailleurs sénégalais en France, controversé dans un premier temps et adoubé finalement au Sénégal. Il s’agit du député Blaise Diagne, élu par les Sénégalais qui jouissaient à l’époque de la nationalité française. C’étaient des « habitants des Quatre Communes du Sénégal ». Blaise Diagne s’est opposé devant la Chambre, au recrutement de troupes noires sous la contrainte. Il fut même leur porte-parole en métropole. C’était un assimilationniste et un représentant du Sénégal.

Aujourd’hui, nous avons la responsabilité collective de maintenir les bonnes relations historiques entre les peuples et de prendre conscience que nous sommes unis par l’histoire. La haine ne doit jamais prendre place dans nos cœurs. J’en appelle solennellement à taire toutes les sirènes qui divisent, tous les mots qui blessent et à reconnaître la souffrance causée par tant d’événements antérieurs à nous tous.

La fraternité entre nos peuples doit guider désormais les actions mémorielles dans le respect et la considération. Nous devons briser le mur des ressentiments et trouver dans nos différences la beauté de l’humanisme.

Ces 73 soldats du 141e B.T.S nous regardent.  Nous devons être à la hauteur de leur sacrifice et de leur courage. Nous devons entendre leur souffrance et celle de leurs familles qui ont vu un être cher partir pour ne jamais revenir. Nous devons écouter le silence des déchirements.

Ces 73 soldats du 141e B.T.S nous parlent. Serons nous enfin dignes du combat qu’ils ont mené pour la libération de la France.

Honneur et reconnaissance aux tirailleurs sénégalais.

Vive la France !

Vive la République !